Fenêtre sur cour

Il y a des fenêtres lorsque je lève la tête. Et parfois...
C'est une verrière dans une cour de Paris. Une cour d'immeubles. Je suis sous la verrière depuis un bon moment (bon ?) quand il me prend alors de lever la tête, pour sortir un peu mes yeux du demi-jour ambiant. Mes yeux montent, et s'arrêtent au quatrième de cette facade, il n'y a pas de rideau aux fenêtres. Pas à celles-là en tout cas. Juste des stores un peu sombres, vous savez, façon japonaise...
Mon regard rentre. Il fait bon, la pièce est orienté sud. Quelques plantes jonchent un pan de sol, un rien de décoration se partage la seule étagère avec une chaine d'un noir de charbon. Fusent des aigus et des graves harmonieux d'une paire de hauts-parleurs tout aussi noirs, posés sur d'incongrus parpaings nus. Tout ca autour du parterre de plantes.
La chambre est par là. Côté cœur. Il est assis, presque en tailleur, jeté en arrière sur ses bras, sur ce matelas — tiens ! Lui aussi d'inspiration japonaise ! — qui emplit presque la pièce. Du rouge et du noir posent un calme passionnel. L'air sent le musc, l'encens indhou et ce petit piment si particulier. Il est calme et passionné, le visage ouvert et les yeux fermés ; une délicate goutte de sueur s'apprète à courir le long de son échine. Il est nu. Une non moins délicate goutte court après une collègue entre ses seins à elle, assise sur lui, elle qui l'entoure de ses jambes. Ils se font face à face et semblent se regarder derrière leurs paupières closes, elle bouge d'avant en arrière, lui un peu de déhanchement. Banale scène d'amour. Passons.
Je tourne un peu autour d'eux, au-dessus d'eux. L'odeur pimenté de plaisir m'excite plus que leur fleur de lotus pourtant gracieuse. Il est à peine l'heure du goûter, dehors il fait doux, mais — pudeur oblige — ils ont tombé le store, il est un voisin, pas tout-à-fait en face, qui cherche à les surprendre. Un vieux-beau, en peignoir la dernière fois qu'ils l'ont vu les voir, l'œil humide comme le bout de ce gland qu'il se caressait de la main gauche, le détail qui reste. On retient n'importe quoi. Son peignoir était généreusement entr'ouvert, on n'a pas eu de mal à se rendre compte du truc ! Alors bon maintenant on tombe le store, et tu te trompes, ce n'est pas par pudeur, mais surtout pour le fruster ce vieux pervers qui a cherché à coller Aline dans l'ascenseur, au moment de la dernière réunion des copropriétaires. Ce n'est pas qu'il soit moche ou qu'il pue, mais elle aime bien choisir qui doit la tripoter avant. Parce qu'à la limite ca nous amusait de le savoir collé à son chambranle de fenêtre, on n'est pas contre un peu d'hexib', surtout que le vieux peut faire basculer le vote des charges en notre faveur... Enfin, aurait pu !
Ils ont arrêté de bouger. Elle s'est redressé sur ses genoux, a glissé sa main entre leurs jambes entrecroisées. Elle a pris ce bout de plaisir entre eux, entre ses doigts. Pour le guider. C'est elle-même qui s'est assise dessus, l'a glissé entre ses fesses. La bouche et les yeux grands ouverts sur douleur et jouissance. Je suis retourné dans sa tête à lui.
Un flash. Un parc, un jardin à Paris, le "Luco". Un rien de printemps et deux hommes qui parlent. Ils se sont croisés la veille au soir en plein pub. Ont sympathisé. Se retrouvent par hasard... Pourtant pas leur quartier.
On a passé la soirée à se raconter nos plans-filles. J'entrevoyais avec Vincent ce que voulait dire "copains comme cochons". Franchement je crois n'avoir jamais autant parlé cul et nana. On a passé la semaine à draguer comme des pigeons en pleine montée de sève... On s'est échangé une copine de lit. Il avait un magnétoscope et des cassettes pornos, un soir on s'est maté ça tous les deux : on s'était fait rembarrer chacun de notre côté presque au même moment. La veille. Je n'ai jamais ni oublié ni voulu vraiment me souvenir de ce qui s'est passé. Un moment il était sur moi, juste comme Aline en ce moment. Quand j'ai ouvert les yeux il était l'heure de jouir. Et on a joui. C'est tout. Il y a deux ans. Je suis sorti de sa tête, un peu gêné. Je suis retourné au salon mettre mes oreilles entre le petit son des baffles et de la radio, le nez dans les feuilles de papyrus. On ne devrait pas entrer chez les gens sans prévenir.

© Franck Boudet
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