L'amour, comment ça va ?

Je me souviens que je n’ai plus de souvenir. Ma hotte est vide j’ai tout donné sans penser au lendemain ; et ils étaient nombreux les enfants affamés de petits cadeaux plein d’amour, plein d’oubli.  Mais là a’y est, c’est vide, je passe bien la main au fond de la hotte et il ne reste rien. Et il ne reste personne non plus, le brouhaha s’est tu dans la nuit et le matin me trouve démuni comme le Job de la légende. Je suis assis sur un lit, le mien, réceptacle de seuls nuits calmes à soupirer au déchaînements qu’il n’a encore jamais subi. Dans une pièce où il n’y a plus que des objets à moi, de la décoration par mes soins, où je suis le seul à vivre, seul, seul...
Assis sur un coin de baignoire, j’essaye de revenir à mes souvenirs, mais rien ne revient. Le rideau de douche me regarde goguenard et je me barre. Dans la chambre, je respire un coin du lit, il doit forcément y avoir des odeurs autres. Que les miennes. Et c’est devant ce lit que m’assaillit la vérité : il ne pouvait y avoir d’autre odeur que la mienne.

Pris de vertige, il me faut des certitudes, des envies à croquer, des ouvertures au monde insondable. Internet. Enfin devenu autre chose que le jouet des “geeks” et des “neirds”, un médium presque adolescent, encore hésitant parfois, mais de plus en plus fonceur en entrant dans l’adolescence. Voici donc le moyen. Le théâtre des opérations : un site de rencontres aux centaines de milliers d’abonnés, lieu de pèlerinage de pas mal de frustrés sociaux, de jeux de masques, de travestis intempestifs, hystériques de toutes provenances, et de quelques aventuriers de la couette. Tous présents au même moment dans cette communion virtuelle. Mais je faisais confiance à mes capacités de décodage de l’information. Enfin du moins à une certaine psychologie de bazar ! Et question bazar l’on peut aveuglément faire confiance au net.

Un site de rencontre, c’est un peu comme un supermarché : en rayon cohabitent les produits de marque, les premiers prix, ceux qui ne portent pas d’étiquette, ceux dont la valeur est surévalué ; il y a encore les têtes de gondoles, les promotions en quelque sorte, que le site marchand (n’oublions pas le moteur de la machine !) met grandement en valeur pour appâter la clientèle… Comment se mettre en valeur dans ce fatras incommensurable de plusieurs millions de paquets tous moins ressemblants les uns des autres et pourtant si proches ? Alors tentative de description à l’autre, de mise en valeur, en exergue, il faut se tisser sa propre petite toile !

Dans mon annonce, déjà je cherche à comprendre... Plus nous disposons d'outils de communication, plus la rencontre est difficile. Plus on a de moyens de se joindre, moins l'effort pour le faire est valorisé. Comment va-t'on faire pour cet espoir de rencontre, pour ce parfum de Deux dont l'odeur nous attire jusque dans les recoins du net ? En fait, c'est un peu comme une élection, on met un bulletin dans l'urne, mais on n'a qu'un petit contrôle sur ce qui va se passer !! Alors, quel candidat je ferais ?
Plus tard c’est l’heure de la chasse, enfin plutôt du tri sur catalogue. Flashback devant toutes ces fiches ces descriptions ces confessions. Là un mot choque, ici une photo attire, mais incroyablement, je me retrouve devant un énorme catalogue de Je Redoute, reste à passer la commande !

Et l’amour, comment ça va ?? Là je pleure sur lui, incapable qu’il est à résister à la pression.
Qui est “ensemble” ? Les gens se confient facilement à moi. Est-ce un bien ou un mal, un mal pour un bien, je ne saurais trancher. Être dépositaire de tous ces petits secrets a un avantage certain cependant : cette collection de souvenirs, de témoignages, de situations banales et d’histoires abracadabrantesques ouvre à mon esprit peu frotté à la psychologie une source de compréhension inestimable de l’âme humaine. En tout cas de celle de mes confidents… Une sempiternelle qualité différente d’expériences par procuration. En temps de vaches maigres...

Là, un vague pote rencontré dans le métro se réjouit de venir m’emprunter mes deux films de boules
“ - ah ben ça faisait un sacré moment que j’en avait pas vu un, je profite, lundi c’est fini, Agathe revient avec le petit ha ha !.
- Tu sais tu pourras le garder plus longtemps, peut-être qu’Agathe et toi...
- Ah mais non tu sais ma femme c’est une sainte, pas facile de vivre avec un ange...”. Soupir.
Plus loin, je repense à ces deux amis, bien différents et plein d'optimisme. Ils se sont découverts plein d’amour l’un pour l’autre, entre passion complicité et libido. Se mirent ensemble dans un appart’, dans la vie, dans la procréation, sans se demander si ça leur suffirait.
Ça n’a pas suffit, le bébé est arrivé en même temps que tous les problèmes, j’ai du mal à savoir qui a trompé l’autre le moins...
Plus près, autre amie, délurée, sulfureuse, sympathiquement déjantée, qui décide aussi froidement que Luke qu’elle le prendra puceau en toutes choses sauf en stabilité, c’est ce qu’il lui faut à elle, c’est ce qu’il aimera lui. Amour il en fut question en effet, un jour, devant le conseiller conjugal.
“ - Alors quel est votre vision des choses madame ?
- Mon mari est ingénieur. Gentil. Attentionné. Je l’ai choisi pour ça aussi. Mais je ne supporte ni sa famille, ni ses loisirs que je ne comprends pas plus que la famille d’ailleurs ! Puis il est coincé timide et terne !!
- Et monsieur ?
- Moi et ma femme lorsque nous sommes tous les deux je suis ébloui, tout va pour le mieux. Mais c’est lorsque ses amis passent, j’ai l’impression que ce sont tous ses ex, ils parlent de trucs sexuels à tout bout de champs... J’ai des envies de violence moi dans ces moments-là.”

Et je pense, repense, tourne tout ça dans ma tête, et je ne me souviens pas qu’ils aient parlé d’amour ces dernières fois.

(réflexions et imaginations suite à une exposition du même titre au parc de la Villette)

©Franck Boudet
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